Rencontre avec Dominique Daudé, boulangère engagée à Barsac

Dominique Daudé a intégré en 2021 le pôle des boulangers de la Carline pour prendre la suite de Frédéric Giraud, du fournil du Chien bleu qui a fait le choix de se consacrer à la production de biscuits. Depuis septembre 2021 et chaque mercredi, Dominique nous livre son pain aux arômes riches issu de farines locales et paysannes. La pain de Barsac est la parfaite illustration de la politique d’approvisionnement de la Carline en pain autour d’un éco-système intégré. Mieux vaut tard que jamais pour vous présenter une boulangère engagée !

A quand remonte ton installation en tant que boulangère et que faisais-tu avant ?

Ca remonte à 2016. Avant, je travaillais dans l’enseignement agricole, rien à voir. Et puis j’ai eu mes filles sur le tard et après la naissance de ma 2ème, je me suis dit que je pourrai pas tout assumer car j’ai l’habitude de m’investir à fond dans ce que je fais, et j’ai pris un congé parental de 3 ans. Cette coupure a été fatale, je n’ai pas repris mon poste. Je ne voulais plus de contraintes horaires, de réunions , de soucis de gestion. J’avais envie de quelque chose de simple, concret, et surtout j’avais envie de liberté. C’est ce qui a motivé mon changement d’orientation professionnelle.

Je faisais mon pain depuis 10 ans, pour moi, le weekend. Quelqu’un m’a montré un jour, ça m’a plus, et depuis je n’ai jamais arrêté d’en faire. Vers la fin de mon congé parental, un copain m’a dit un jour « pourquoi tu ferais pas du pain ? » et je me suis dit pourquoi pas. C’est parti comme ça. Je me suis renseignée auprès d’un centre de formation, les inscriptions pour le CAP candidat libre se clôturaient dans une semaine. Je me suis inscrite et j’ai passé le CAP. J’ai passé les épreuves en juillet mais j’avais déjà fait les travaux d’aménagement du fournil au printemps. En août j’avais mon four, et j’ai démarré en septembre.

Comment tu t’es formée à la boulang’ pour passer le CAP en candidat libre ?

Avant de me lancer dans ce projet, je suis allée voir 3 boulangers du coin qui font du pain comme j’avais envie de le faire, dont Alex à Barnave (Orée des Pains) et un paysan boulanger. J’ai fait aussi 6 journées de formation pratique avec le CFA de Loriol où j’ai beaucoup discuté avec le formateur sur le matériel. Lui m’a découragé de prendre un four à bois par exemple. Donc petit-à-petit, vu mon âge, j’ai simplifié au maximum mon modèle qui ne correspond plus du tout à ce que j’imaginais au départ car je voulais être paysanne-boulangère. On a des terres mais peu fertiles et en pente, donc c’était pas faisable. Après je me suis dit c’est trop compliqué, c’est plusieurs métiers en un. J’ai 48 ans et des enfants en bas âge. Ce qui me plaît au fond c’est le contact avec la pâte donc le plus simple c’est d’acheter la farine et sur les sages conseils du formateur, j’ai acheté un pétrin mécanique et un four électrique.

Le choix d’un four électrique ça a donc été un choix raisonnable ?

Le four à bois, c’est plus de boulot et le côté pénibilité j’y ai réfléchi dès le début. Je n’ai pas de regret car je n’aurais pas pu faire autrement. Évidemment le four à bois sera toujours un rêve, mais je réalise que le four électrique me permet aussi de travailler la farine de Jean-Marie Verdet qui relâche très vite, ce qui est peu compatible avec l’utilisation d’un four à bois. Les farines issues de blés anciens sont limite panifiables, elles font du bon pain avec du goût, mais ont des glutens fragiles, c’est d’ailleurs pour ça qu’elles sont plus digestes. Et le passage au froid permet d’étaler les cuissons, de durcir la pâte pour une meilleure levée.

Quelles sont les contraintes que tu as trouvées dans ce métier ?

La contrainte physique est pour moi la première, j’ai pas mal de soucis de tendinites et je m’impose des journées de 10h maximum, sachant que ces heures sont toujours intenses !

Et l’autre contrainte, contrairement à mon souhait initial, c’est que je ne suis pas tant libre que ça, notamment depuis que j’ai développé les dépôts dans les magasins. Je suis tenue de respecter une régularité . Quand je pars en vacances, j’essaie de trouver un moyen pour que le fournil tourne, je limite au max l’absence du pain de Barsac. Quand j’avais ma clientèle en direct, je pouvais me permettre d’arrêter en prévenant à l’avance. C’était super les tournées mais ça prend beaucoup d’énergie, alors je n’en fait plus qu’une par semaine pour garder le plaisir du lien. La vente en magasin a simplifié mon activité.

Avec quels meuniers travailles-tu  et comment discutes-tu de la qualité boulangère des farines avec eux ?

Je travaille avec Jean-Marie Verdet pour le blé, avec Guillaume de la ferme aux Coquelicots à Cornillac ; en seigle soit avec la ferme Bouteille, soit Bernard Piat qui est à Volvent dans la vallée de la Roanne.

Avec Jean-Marie, on échange beaucoup. Justement parce que j’ai eu des difficultés. Il fait des blés anciens et du Soisson, une variété bien adaptée au diois et de qualité boulangère moyenne. Donc je travaille avec des farines qui ont génétiquement des protéines assez courtes, et en plus Jean Marie, toujours pour des raisons nutritionnelles, limite les apports organiques, double peine pour la boulangère… Donc le pain est très digeste, mais difficile à faire . Et suivant les années, on a des farines de qualité boulangère différente.

Je ne cherche pas une farine plus facile à panifier. Je veux une farine de bonne qualité nutritionnelle, locale, et mon challenge c’est de faire au mieux chaque année !

Pourquoi travailler au levain plus qu’à la levure ?

C’est un principe. J’aime travailler avec le levain qui bouillonne de bactéries. En terme de goût je trouve ça plus riche, y compris sur les viennoiseries. Et la fermentation longue qu’impose le levain amène à une meilleure conservation. C’est sûr que pour les brioches, c’est beaucoup plus nourrissant mais elles se conservent plus longtemps.

C’est quoi tes sources d’inspiration dans la boulangerie ?

Moi mon fil directeur, c’est le goût , j’ai vraiment envie de faire un pain qui a du goût. Après, ma bataille c’est d’arriver à le faire le plus aéré possible, le plus moelleux. C’est mon challenge quotidien. J’apprécie beaucoup les publications de Christian Rémésy, ancien chercheur en nutrition à l’INRAE, il défend un pain nourrissant riche en fibre. J’ai testé les levains à base de son, levain de seigle, ou les fermentations longues que je faisais au début. J’ai arrêté une année car la farine ne supportait pas. Mais je pourrais m’y remettre même si ça change pas mal l’organisation. Les fermentations longues développent plus d’arômes dans le pain, ce qui permet de baisser la teneur en sel. Sinon, j’ai aussi ma petite bible de Thomas Teffri Chambelland qui permet de mieux comprendre les mécanismes biologiques. L’année ou je galérais avec la farine, j’ai acheté un PH mètre pour suivre précisément l’évolution de la fermentation et mieux comprendre comment travailler la farine.

Tu fais du pain au levain avec de la farine bio et locale, comment ça se traduit sur le prix du pain et la rentabilité de ton activité ?

Pour moi c’était une évidence qu’il fallait que je bosse avec des gens autour de moi. C’est ce qui faisait sens. Mais j’utilise une farine qui coûte relativement cher par rapport aux farines des meuneries . Et mettre en place mes tournées au début a été difficile car je ciblais tous les villageois, pas forcément les militants du bio et du local. Mais la plupart des gens ne travaillent plus au village et ils ont l’occasion d’acheter leur pain en magasin en rentrant du boulot. Je croisais peu de monde. Au final, je me suis rendue compte que mes clients étaient essentiellement des néo, et je ne vendais pas suffisamment pour en vivre. Il faut atteindre un seuil d’activité pour rentabiliser l’investissement dans l’équipement. Les 1ères années, je n’en vivais pas c’est clair, je me payais à peine 500-600 euros par mois. C’est aussi pour ça que j’ai développé les ventes en magasins pour mieux cibler ma clientèle. Aujourd’hui, je vais pouvoir dégager un SMIC et un bout de salaire pour Nicolas qui travaille avec moi une fournée par semaine. Ça me permet d’amortir le fournil. Et peut-être qu’en diversifiant, on pourra gagner un peu plus que le SMIC.

C’est quoi ce projet de diversification ?

Pour l’instant, Nicolas s’est lancé dans la préparation de brioches. J’en faisais au début mais je n’ai pas pu continuer car mon compagnon a eu une maladie grave, j’avais beaucoup de soucis et beaucoup de choses à faire. J’ai donc simplifié mon organisation, je ne pouvais plus passer autant de temps et d’énergie pour le pain. L’arrivée de Nicolas m’a redonné du peps avec l’envie de tester d’autres process, et en plus il nous a peaufiné une belle recette de brioche gourmande au levain.

Du coup, comment est-ce que vous travaillez ensemble avec Nicolas ?

On vend le pain de Barsac donc Nicolas qui a démarré ici comme salarié a appris à faire le Pain de Barsac. Mais on l’a amélioré ensemble. On discute sur la manière de faire le pain et c’est lui par exemple qui a modifié la recette du pain au petit épautre en proposant de l’hydrater plus. Et le pain est meilleur aujourd’hui. Il apporte sa touche, je suis complètement ouverte, je trouve ça génial de pouvoir échanger là-dessus. Le fait de bosser à deux permet de réfléchir à deux et de progresser davantage.

On avait un projet d’association avec Nicolas. Ca fait plus d’un an qu’on en cause. On a eu l’accompagnement avec Marie de GRAP au printemps pour éclaircir un peu les choses. Et puis finalement, au niveau perso il n’a pas le temps de dégager plus d’une journée par semaine. Donc, ça l’a pas fait. On recommence à discuter et on va voir ce qu’il est possible de faire mais sa disponibilité reste assez réduite. Donc pour l’instant, il bosse un jour par semaine dans le fournil. Mais on ne travaille pas ensemble donc c’est un peu frustrant. Chacun a sa fournée, on se croise quelques minutes mais c’est restreint comme échange. Moi ça me donne envie de bosser avec quelqu’un mais l’association n’a de sens que si on organise des moments où on a des fournées en commun dans la semaine. Quitte à diversifier et à travailler autrement. Mais ça veut dire qu’il vient au moins deux jours par semaine. Et aujourd’hui, ce n’est pas à l’ordre du jour.

Qu’est ce que t’as apporté l’accompagnement de GRAP ?

On a vu Marie 3 fois et ça a déclenché quelque chose. Ça nous a permis de nous parler davantage avec Nicolas. Jusqu’à présent, il avait trop de choses sur le feu, pas assez de disponibilités pour y réfléchir. Ça nous a mis en mouvement, et ça me pose d’autres questions. Par exemple, est-ce que je suis vraiment prête à partager mon travail et la prise de décision ? C’est compliqué quand on a bossé seule, de travailler à deux. On se sent forcément plus impliquée, en plus je suis chez moi donc faut que j’arrive à lâcher pour faire de la place à l’autre sinon ça marchera jamais. Donc, l’accompagnement est utile, je dois rappeler Marie pour poursuivre cette démarche .

Pour finir, qu’as-tu à dire aux personnes qui ne veulent pas manger du pain à cause du gluten ?

Il y a beaucoup de gens qui achètent maintenant du petit épautre qui est effectivement plus digeste. Mais si les gens choisissent leur boulanger, qu’ils savent quels types de farines il utilise et qu’il travaille au levain, on ne craint pas grand-chose avec les glutens. Si on est sur des variérés modernes sélectionnées on va effectivement avoir des glutens difficiles à digérer mais avec des variétés anciennes, c’est pas du tout le cas. Et avec un pain au levain et une fermentation d’au moins 5h les protéines sont pré-digérées et ça fait des pains très digestes. Alors pourquoi se priver de manger du bon pain !