Poulailler de Sandra et Lilian Vadon à Salettes

Ça a été le cas pour de nombreux commerces mais le confinement n’a pas créé de pénurie de farine chez nous. Il y avait de quoi puisque entre le 13 mars et le 20 avril, la consommation de farine de blé en vrac a plus que… triplé (passée de 501 kg à 1tn838kgs)! En circuit-long, la « rupture », grande phobie des gérant de magasin, aurait été de mise. Mais la farine provient directement de La Ferme du Bez à St-Roman et grâce à leur réactivité, nous avons pu suivre la cadence (bravo !).

Il n’en est pas de même pour les œufs où nous avons essuyé plusieurs jours sans. En cause, la tension particulière que créé le confinement sur les chaînes alimentaires dite « longue ». Les cantines et les restaurants sont à l’arrêt et les circuits doivent se réorganiser pour orienter les aliments destinés à la restauration collective vers l’alimentation des familles. Il y a donc embouteillage sur les chaînes non pas de production (les poules pondent toujours 40 millions d’œufs en France par jour) mais d’emballage et de conditionnement qui créent des retards de livraison. (Plus d’infos sur les rayons d’œufs vides ici et ici).

Ces ruptures répétées pointent aussi nos difficultés à créer un approvisionnement local et direct sur les œufs. Difficulté qui nous embarrasse sérieusement puisque l’œuf est le produit le plus vendu à La Carline (environ 300/jour). De 2012 à 2018, nous étions livrés par Frédéric Gontard à La Laupie (26). Mais depuis son arrêt de production (suite à des problèmes avec les autorités sanitaires, nous en parlions ici), nous n’avions pas pu retrouver de producteur bio local en direct.

On vous rassure, ça va changer! Lilian et Sandra Vadon, éleveurs de volailles à Salettes (26) et déjà fournisseurs de La Carline en viande de volaille plein-air, prévoient de créer un poulailler supplémentaire pour fournir La Carline à l’automne prochain. Ce délai, pour retrouver un approvisionnement local en direct, est révélateur des difficultés que nous rencontrons régulièrement pour augmenter nos approvisionnements locaux et directs avec les contraintes qui caractérisent notre activité d’épicerie.

Car des œufs bios, ce n’est pas ce qu’il manque dans le Diois, avec des élevages allant de 100 à 25 000 poules. Néanmoins les contraintes d’un magasin ne sont pas minces puisqu’il faut répondre au volume de vente ou au moins une grosse partie, au cahier des charges sanitaire de la vente en magasin (bien plus contraignant que la vente directe) et entrer dans nos critères de production « éthique » (pas de poulailler au-dessus de 1000 poules, ni de système intégré).

Difficulté des petits élevages à vendre en magasin : être équipé et recevoir des contrôles sanitaires fréquents

Il existe plusieurs poulaillers de moins de 1000 poules dans le Diois. Nous avons évoqué avec certains la possibilité de livrer La Carline, seul ou à plusieurs éleveurs. Plusieurs questions se sont posées :

*La question de la rentabilité pour des petits élevages de vendre via un magasin intermédiaire. En dessous d’un certain ratio équipement/surface exploitable, le modèle économique de certaines exploitations passe par la vente directe et vendre à La Carline n’aurait peut-être pas été avantageux pour les élevages de 250 poules.

 *La question de la capacité à fournir les volumes d’une épicerie. La Carline vend entre 250 et 350 œufs par jour en fonction de la fréquentation (des pics à mille œufs depuis le début du confinement). Un ou une éleveuse de 250 poules n’aurait pas pu suivre seul.e ces volumes mais une répartition des commandes entre plusieurs éleveurs.se aurait été pertinente.

*La question des normes sanitaires. Lorsque l’on vend en magasin, elles sont exigeantes : il faut pouvoir faire contrôler ses œufs via une mireuse/calibreuse pour identifier les potentielles fissures. Et suivre des contrôles à la salmonellose toutes les 8 semaines. Les élevages de moins de 250 poules qui vendent en direct, possèdent une dérogation pour ces prérogatives.

La Carline a donc proposé de faire un prêt de campagne ou d’investir elle-même dans une mireuse-calibreuse pour permettre à plusieurs producteurs du Diois de livrer leurs œufs à La Carline. Mais face à la complexité de l’organisation (déplacement des œufs, planning d’utilisation et désinfection systématique), les éleveurs ont préféré conserver leur circuit de vente directe.

Les autres éleveurs du territoire qui pourraient nous livrer en œufs plus facilement sont des exploitants en « élevage intégré ».

Pourquoi nous ne souhaitons pas travailler avec des poulaillers en système intégré

Les poulaillers en système intégré, c’est un modèle où une entreprise propose un kit bâtiment/poulette/nourriture à un producteur. (On en aperçoit une triste illustration dans le film « Au nom de la Terre »). Les producteurs doivent réserver la majorité de leurs produits à cette même entreprise mais ont parfois la possibilité de vendre 1 à 5% de leurs œufs en direct.

Il y a plusieurs poulaillers de ce style dans le Diois et nous aurions pu vous proposer leurs œufs si nous voulions vous proposer des œufs où la notion de « local » est comprise uniquement dans sa dimension « le moins de kilomètres possibles ». Mais leur mode d’élevage ne correspond pas à nos attentes en termes de lien aux animaux, d’origine des aliments, d’autonomie des agriculteurs et tout simplement de modèle d’agriculture.

Mais ! Mais… Nous n’avons pas toujours les moyens concrets de mettre en place nos valeurs et notre solution de repli en attendant de trouver « meilleur » a été de prendre des œufs chez notre grossiste Relais Vert. Oui, on l’admet, remplacer les œufs en circuits intégré produits dans le Diois par des œufs produits dans les mêmes conditions venant du Gers.. est une aberration écologique. Mais il faut avouer que ce qui semble plus éthique sur le papier (lâcher un producteur, qui met de l’énergie dans la contractualisation avec un petit magasin car on a trouvé « mieux ») est humainement très dur lorsque l’on fait du « direct », que le producteur soir « gros » ou non.

Solution intermédiaire : ces dernières semaines, nous avons commencé à prendre les œufs de Val d’Eurre, distribué par AgriCourt. Val d’Eurre est aussi une entreprise d’élevage intégrée dépendant du groupe Val d’Or. Cette entreprise a l’avantage de proposer des œufs de Drôme-Ardèche avec des poulaillers de plus petites tailles. Val d’Eurre et Agricourt ont joins leurs efforts pour nous dépanner pendant plusieurs semaines mais ont connu les mêmes difficultés d’approvisionnement sur l’œuf que les circuits-longs et sont maintenant aussi en … rupture.

Notre solution pour retrouver des œufs en direct : retrouver un éleveur « entre-deux » comme Fred Gontard, équipé et organisé pour fournir des épiceries mais loin du gigantisme de l’industrie de l’œuf. Mais comme en témoigne l’arrêt de production de Fred, leur situation n’est pas simple.

La difficulté des éleveurs entre-deux : exemple de l’arrêt de Fred Gontard (article de septembre 2018)

Frédéric Gontard nous livrait les œufs de 2012 à 2018. Il faisait partie des rares éleveurs indépendants de poules plein-air bio de la région qui avait la capacité de fournir 1800 œufs par semaine à plusieurs épiceries. Loin des poulaillers uniformes de 12 000, Fred avait choisi pour le bien-être de ses poules de les répartir dans trois bâtiments différents avec 800 poules chacun. Une exploitation peu rentable au vue des investissements qu’il devait faire. Fred avait déjà dû essuyer 2 contrôles positifs à la salmonelle sur certains des murs de ses bâtiments (pas sur les poules ni sur les œufs), et avait dû abattre 2 fois de suite l’ensemble des poules des trois bâtiments (à ses frais). Épisode très dur moralement et financièrement..

La troisième fois a été celle de trop, Frédéric a décidé d’arrêter l’élevage.
La salmonelle est une bactérie présente sur les reptiles, facile à digérer pour les poules mais pouvant causer des intoxications alimentaires chez les humains et présenter des risques graves pour les nourrissons et les personnes âgées ou malades.
La salmonellose peut donc avoir des répercussions graves sur la santé et nous sommes très attentifs au respect des normes d’hygiène de nos producteurs. Pour autant, les traces de salmonelle ont été trouvé sur les murs de Fred, pas sur ses œufs, ni ses poules. Comme l’aurait fait remarquer l’inspectrice de la DDPP qui a contrôlé Fred la dernière fois, la salmonelle se trouve partout, potentiellement sur vos voitures et vos maisons également.
L’arrêt de production de Fred nous a mis dans l’embarras pour retrouver un éleveur qui prenne sa suite. Après mûre réflexion, Lilian et Sandra Vadon à Salettes ont décidé de diversifier leur élevage de poule de chaire avec davantage de poules pondeuses (création d’un poulailler de 800 poules). Leurs premiers œufs devraient arriver à la fin de l’été à La Carline et nous permettre d’avoir un approvisionnement en viande de poulet plus régulier. C’est un soulagement pour nous de retrouver un fournisseur direct !

Faire du circuit-court : l’objectif numéro 1 malgré les complexités

D’une manière générale, les problèmes autour des œufs illustrent certaines difficultés que nous rencontrons pour créer des circuits-courts. Car la complexité des normes sanitaires, administratives et dans une moindre mesure, l’adaptation logistique à la vente en magasin, sont conçues sur le modèle des grosses exploitations et rendent les petites exploitations moins armées pour y répondre.

Néanmoins, les avantages des circuits-courts sont nombreux pour les deux parties. Alors augmenter le nombre de fournisseurs directs et baisser la part des grossistes pour vous proposer plus de circuits-courts, proches ou éloignés, est une évidence pour nous. Le critère pour durer étant de trouver un équilibre pour que le magasin jongle avec la multitude de fournisseurs tout en conservant un fonctionnement vivable pour l’équipe de La Carline, devenue aujourd’hui une véritable fourmilière. Pas simple, complexe et passionnant !

Pour aller plus loin sur les élevages d’œufs

A l’échelle nationale et internationale, les débats sur la production d’œufs s’orientent sur d’autres sujets :

*Sur le type d’élevage, caractérisé par le numéro tamponné sur chaque œufs : 0 (biologique, parcours plein-air obligatoire), 1 (plein-air), 2 (élevage au sol), 3 (élevage en cage). Les élevages en cage sont décriés depuis plusieurs années et les grandes surfaces font des plans pour sortir de ce système et proposer plus d’œufs plein-air.

*Sur le traitement des poussins : sexage des poussins, broyage des poussins mâles, (interdit d’ici la fin 2021) et épointage ou débecquage.

*La durée de vie des poules pondeuses qui sont amenées prématurément à l’abattoir pour n’être conservées que pendant leur période la plus productive (des start-up commencent à proposer des poules que les producteurs s’engagent à garder jusqu’à la fin de leur vie, voir article sur Poulehouse proposé par Carrefour, Monoprix).

*Les poulaillers à taille démentielle. Certains en intégré (voir article de Libération) et d’autres qui frisent le gigantisme mais où l’écologie et le bien-être animal serait une priorité (sic!). Voir l’article très intéressant du Monde ici.