L’histoire de la Chocolaterie Yêrê est riche et pleine de rebondissements. Lors de la visite organisée par La Carline le 16 octobre 2025, Amonah nous l’a expliqué pleine d’enthousiasme, généreuse en détails. En partant de leur propre histoire et sillonnant l’histoire du cacao, nous avons voyagé de la Côte d’Ivoire à l’Amérique du Sud, allant de l’île Sao Tomé au Mexique. Vous en conviendrez, il n’est pas simple de tout retranscrire. Je vais faire au mieux, en tentant d’être succincte et juste.
C’est parti.
D’où vient le cacao ?
Originaire du Bassin Amazonien à l’origine, le cacao s’est répandu jusqu’au Mexique grâce aux singes (d’où le symbole de Yêrê). C’est au Mexique il y a 3000 ans que le xocoatl a été inventé : une boisson sacrée faite de cacao, d’eau et d’épices (notamment le piment), réservée à l’élite. Ce sont les conquistadors espagnols qui plus tard adapteront le cacao au goût européen en y ajoutant du sucre.
Pour alimenter la consommation de chocolat en Europe, le cacaoyer sera transplanté en Afrique, en Asie et même en Océanie. En Côte d’Ivoire, il est arrivé via l’île de Sao Tomé et Principe, puis le Ghana.



L’histoire de la Chocolaterie Yêrê
A l’occasion d’un travail avec une ONG sur l’exploitation des enfants, et Ivoirienne d’origine, Amonah, se rapproche de la filière du cacao en Côte d’Ivoire. Elle y découvre un phénomène déjà dénoncé depuis 2001 : la traite et l’esclavage des enfants dans les plantations de cacao. Les multinationales du secteur n’ont pas l’intention d’augmenter les prix payés aux petits planteurs de cacao, ce qui permettraient à ces derniers de se rémunérer, d’envoyer leurs enfants à l’école et de rémunérer une main d’œuvre adulte. Les multinationales du cacao préfèrent financer des slogans publicitaires moralisateurs à destination des planteurs.
C’est à partir de leur installation dans le Diois en 2014 (à Boulc, Glandage puis à Recoubeau), qu’Amonah et Thomas lancent leur projet de fabrication de chocolat. C’est en Côte d’Ivoire qu’ils créent leur atelier artisanal (c’est l’un des premiers du pays) dans l’idée d’aller à contre sens de la filière et de soutenir (ce qui se fait déjà), une filière plus éthique. Ils se rapprochent d’une coopérative bio et équitable et transforment la fève en chocolat une fois par an au sein d’une équipe composée d’habitant.e.s du village.
Cet atelier a tourné jusqu’en 2022 puis s’est arrêté à cause de la difficulté de faire passer le chocolat à la frontière. (Prix de la licence d’exploitation très très élevé).
En 2023, ils relocalisent leur atelier de transformation en France, à Recoubeau, et ont donc pu travailler sans encombre (sans stresser avant le passage de la douane notamment) et en faisant évoluer leur gamme. À présent leur chocolat est bio, certifié Nature & Progrès, car le sucre provient du Paraguay et est labellisé bio, (il ne l’était pas en Côte d’Ivoire). Pour pallier la problématique de coût, et pour diversifier les goûts, ils s’approvisionnent en fèves de cacao dans différents pays du monde : Haïti, Madagascar, Côte d’Ivoire, Mexique… Ils travaillent aujourd’hui avec Ethiquable pour l’approvisionnement des fèves.

Bean to bar, kézako ?
On appelle une entreprise Bean to bar, une chocolaterie qui transforme la fève en chocolat. La chocolaterie Yêrê en est une car elle reçoit des sacs en toile de jute remplis de fèves de cacao brutes, entières, et nous-mêmes visiteurs ce jour sommes repartis avec du chocolat prêt à déguster.
Ils commencent donc par la torréfaction des fèves. Thomas les trie rapidement, les met dans des plats qu’il glisse au four et les laisse griller quelques minutes.
Lorsqu’il sort les fèves il procède ensuite au concassage et vannage (ventilation). Pour cela, il place les fèves torréfiées dans une machine branchée à un aspirateur qui créé un mouvement d’air. Le mouvement mécanique brise les fèves (fragiles), sans les broyer. L’air insufflé oriente la coque légère de la fève d’un côté et le grué (fève concassée sans coque) de l’autre. Nous avons donc de la coque d’un côté (utilisée en infusions ou dans le compost) et du cacao concassé de l’autre, avec lequel ils font le chocolat.
Vient ensuite le broyage. Chez Yêrê, il est simple et sans raffinage. Le cacao broyé est liquide, on l’appelle masse, pâte ou liqueur de cacao. Pas de rajout de beurre de cacao, pas de lécithine de soja : seul du sucre est rajouté à la pâte de cacao. Leur base : 75% de cacao (= poudre + beurre de cacao naturellement présent), 25 % du sucre. Le calcul est facile.
Le chocolat est tempéré à 32°C, moulé en plaque de 750g puis refroidi pour qu’il fige. Thomas et Amonah le conservent comme ceci et le tempèrent de nouveau dès lors qu’ils ont besoin de faire des disques (inspirés des disques de chocolat au Mexique, moulé entre les paumes de mains). C’est à ce moment là qu’ils ajoutent les saveurs souhaitées. Puis le refroidissent de nouveau. L’emballent à la main. Et le mettent en vente.
C’est environ 14 000 tablettes emballées par an. Ce qui représente 1 tonne de fèves transformées.
Si ce procédé est simple et ne requiert que peu de machines c’est parce qu’il a été conçu en Côte d’Ivoire avec le matériel disponible là-bas et que le but était de le laisser entre les mains des villageois et villageoises. En effet, lorsque qu’Amonah et Thomas ont développé ce projet en 2009 en Côte d’Ivoire, c’était dans l’idée qu’il soit le plus reproductible possible avec les moyens (matériels et financiers) du bord.





Pourquoi consommer du chocolat bio et issu de filière équitable ?
- Je ne participe pas à l’exploitation d’enfants par leur mise au travail à la place de l’école et par des formes de travail dangereux. Je ne participe pas à leur traite ou à leur esclavage dans des plantations de cacao, comme cela arrive aussi.
- Je soutien l’agroforesterie qui pallie les problèmes climatiques liés à la déforestation (elle-même liée à la plantation de cacaoyers). En Côte d’Ivoire, la superficie couverte par la forêt primaire est passée de 16 millions d’hectares en 1960 à moins de 2 millions d’hectares en 2010.
- Je n’empoisonne pas de fongicide, produits chimiques, intrants artificiels les sols africains et d’Amérique du Sud.
- Je rémunère convenablement les paysans
- Je n’enrichis pas des multinationales, mais les paysans.
Ce sont les choix que font Amonah et Thomas au quotidien.


Pourquoi le prix du cacao a explosé en 2024 ?
Changement climatique. Les pluies se déplacent et se concentrent de manière plus localisée. Trop de précipitation, trop d’eau, les cultures pourrissent et la récolte chute. C’est une baisse de 30% de la production de cacao en Côte d’Ivoire et Ghana cette année-là. Moins de chocolat sur le marché = inflation.
Finalement, Amonah, nous explique que le prix est simplement revenu à la juste valeur de ce que représente le coût de production de la culture de cacaoyer, après 50 ans pendant lesquels le prix payé aux paysans n’avait pas bougé, malgré l’inflation. Sur le marché du cacao conventionnel, le prix est passé d’environ 2500 USD/Tonne en octobre 2023 à 10.000 USD/T en mai 2024, soit une multiplication par 4. Dans la filière équitable et bio de Yêrê, le prix d’achat a lui été multiplié par 2,5 pendant cette période.
Le saviez-vous ?
Le chocolat est un produit fermenté !
En effet, une fois ramassées, les cabosses sont ouvertes à l’aide d’un coup de bâton.
L’intérieur de la cabosse est vidé et déposé sur des grandes bâches ou feuilles de bananier,
fermées et laissé là pendant quelques jours. La pulpe fermente, part en alcool et devenant liquide, elle s’écoule.
Ne reste plus que la fève qui continue de fermenter encore pendant quelques jours, puis est mise au soleil pour sécher.
La cueillette des cabosses se fait pendant les saisons des pluies. La grande traite a lieu d’octobre à décembre et la
petite traite de main à juin.

La bonne recette !
Le chocolat chaud sans lait.
Pour une tasse : 25g de chocolat noir en tablette et 125 ml d’eau.
• Dans une casserole, faire chauffer l’eau et le morceau de chocolat, et remuer jusqu’à ébullition.
• Faire chauffer encore 1 minute.
• Ajouter un peu de sucre, de vanille ou de cannelle selon vos papilles.
Servir et déguster chaud !
Lors de la visite, nous avons goûté différents chocolats.
Savez-vous qu’il existe une multitude de variétés de cacao ?!
Forastero, Trinitario, Nacional… Certaines sont plus résistantes aux aléas climatiques,
d’autres ont des saveurs plus acidulées, plus fruitées, plus intenses, plus amères…
Et selon leur origine et donc les conditions de culture, les saveurs varient également.
Entre une tablette 75% de cacao de Côte d’Ivoire, de Madagascar, d’Équateur ou d’Haïti, laquelle allez-vous préférer ?
